Les plantes, les morts et les vivants. Cimetières et végétal en Occident du XIXe au XXIe siècle

     Le colloque « Les plantes, les morts et les vivants. Cimetières et végétal en Occident du XIXe au XXIe siècle » est organisé à Avignon Université les 11 et 12 septembre 2025 à l'Institut Culture, Patrimoine et Sociétés Numériques, co-porté par le Centre Norbert Elias (UMR 8562) et le laboratoire TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés, UMR 9016). Il porte sur l'histoire culturelle et environnementale du végétal dans les sites funéraires, du XIXe siècle à nos jours en Occident, cet espace étant élargi aux contextes coloniaux et post-coloniaux. L'aménagement des premiers cimetières paysagers au début du XIXe siècle répond à des motivations esthétiques et hygiénistes, tandis que la multiplication des concessions familiales contribue au développement du fleurissement des tombes. La présence du végétal dans les cimetières comporte diverses dimensions, qu'il s'agisse de plantes spontanées, cultivées, naturelles ou artificielles, ou bien de fleurs coupées, dont seront analysées les dimensions symboliques et esthétiques, ainsi que les enjeux environnementaux, culturels et économiques liés à ce renouvellement des espaces et des pratiques funéraires, intégrant le végétal au patrimoine que constituent les cimetières.

Appel à communication - Les plantes, les morts et les vivants. Cimetières et végétal en Occident du XIXe au XXIe siècle

     Chaque année, à l’occasion de la Toussaint, 30 millions de chrysanthèmes sont vendus en France. Ce chiffre illustre l’importance du végétal dans les cimetières et les pratiques funéraires à l’époque contemporaine, notamment avec l’essor des cimetières paysagers au début du XIXe siècle, tels que celui du Père Lachaise (ETLIN, 1984 ; BARIDON 1998 ; BERTRAND, GROUD, 2016). Parallèlement, le développement des concessions familiales a favorisé la généralisation du fleurissement de tombes, que ce soit avec des jardinières, des fleurs coupées ou bien des couronnes de fleurs (BERTRAND 2011). Cette histoire des plantes dans les cimetières invite à discerner les déclinaisons de ces usages dans des contextes variés, en l’intégrant plus largement dans celle du végétal en ville (MATHIS, PEPY 2017 ; DUARTE RODRIGUES 2017), du monde rural, ou bien dans les empires coloniaux s’inspirant des modèles métropolitains d’utilisation du végétal dans l’espace urbain (BLAIS 2023 ; TAÏBI, EL HANNANI 2019). Ces contextes mettent en lumière les enjeux culturels ou environnementaux liés aux usages, aux représentations, aux circulations ou à l’acclimatation d’espèces végétales, récemment mis en évidence par les chercheurs et les chercheuses.

     L’objectif de ce colloque est d’évaluer dans quelle mesure ces pratiques culturelles se déclinent selon les milieux, et en quoi elles influencent l’environnement proche ou lointain des lieux de sépulture, à travers le développement d’un marché particulier. Comment ces pratiques transforment-elles l’espace et les milieux à court ou à long terme ? Dans quelle mesure diffèrent-elles selon le genre, l’âge, le milieu social ? En quoi les usages du végétal dans les sites funéraires modifient-ils les significations, les imaginaires et les pratiques liés aux plantes, aux cimetières ? Il s’agit ainsi d’analyser la place du végétal dans les cimetières occidentaux, du XIXe au XXIe siècle, y compris en contexte colonial ou post-colonial, sous l’angle d’une histoire attentive aux représentations et aux pratiques funéraires associées aux plantes. Les plantes sont comprises en tant qu’organismes vivants, impliquant des enjeux environnementaux liés à leurs utilisations et à leurs implantations diverses dans les lieux de sépulture, ainsi que comme objets artificiels ornant les sépultures.

     Au-delà de leur dimension spirituelle, les plantes jouent un rôle esthétique, hygiéniste et mémoriel particulièrement mis en avant lors des fêtes religieuses ou à la suite d’évènements marqués par une grande violence, comme la Grande Guerre (BECKER, TISON, 2018). L’art des jardins et l’horticulture, en plein essor au XIXe siècle (PRÉVÔT, 2016), sont mobilisés pour l’aménagement des cimetières (LEFAY, 2015), dans le but d’embellir ces lieux de recueillement et de visite. Parmi les espèces présentes figurent les roses, la myrte, l’asphodèle, l’ancolie, la pensée, le myosotis, les immortelles, les ifs, buis ou cyprès, ainsi que les chrysanthèmes, introduits en Europe à la fin du XVIIIe siècle, dont la mode se développe au XIXe siècle (GOODY, 1994 ; AYLA et AYLARD 2001 ; BERTHERAT 2019), chaque plante étant associée à des symboliques particulières. Le choix des végétaux pour aménager et fleurir les cimetières reflète à la fois les représentations culturelles, les significations qui leur sont associées, autant que des modèles paysagers appréciés et des contraintes environnementales, invitant à questionner la manière dont l’usage du végétal se décline suivant les espaces, les pratiques funéraires ou les croyances. Cette réflexion pose également la question de l’intégration des plantes au patrimoine funéraire, qu’elles soient naturelles ou artificielles (couronnes ou bouquets en céramique, parfois associés à des couronnes de perles, végétaux sculptés sur les tombes, etc.) renforçant dans ce cas l’idée d’un espace conçu pour l’éternité (URBAIN, 1978 ; DUCROS, 2009). Ces objets deviennent alors sujets aux vols et aux dégradations (FAUDOT, 2024).

     Le fleurissement des tombes interroge l’articulation entre les temporalités propres au végétal vivant, le caractère éphémère et fragile des fleurs coupées, et celles des rites funéraires. Cela peut intégrer l’analyse des pratiques culturales liées à l’essor de ce marché, des réseaux de production et de commercialisation du végétal ainsi que leurs conséquences sur les plantes (forçage), l’environnement et les économies agricoles, ce que suggère la production d’immortelles dans le Var remplaçant la culture de la vigne à la suite du phylloxéra (BERTRAND, 2011). Ces paysages mêlant plantes cultivées et spontanées requièrent un entretien régulier, mobilisant le personnel autant que les individus se recueillant sur les tombes. Outre leur dimension hygiéniste, l’aménagement des cimetières et les pratiques d’entretien des lieux de sépulture ont des implications environnementales, que cela concerne la gestion des ressources en eau, des plantes spontanées ou des parasites impliquant parfois l’utilisation d’herbicides ou de produits phytosanitaires. Il s’agit alors d’analyser les usages du végétal dans les cimetières à la lumière de ces négociations entre humains et autres qu’humains.

     Ces aménagements, en lien avec les préoccupations environnementales actuelles (DUHAU, GROUD, 2020), contribuent à transformer et à marquer durablement les paysages. La végétation peut traduire, selon sa composition, la présence ancienne ou le relatif abandon de sépultures. Elle conserve ainsi les traces et la mémoire d’un espace oublié par le biais de la « nécrobotanique » (LAQUEUR, 2015), comme le montrent les plantations d’ifs, de cyprès, les haies ou les aménagements effectués à l’aide de plantes indigènes dans les cimetières des camps de prisonniers (TRIVISANI-MOREAU, OGHINĂ-PAVIE, NOÛS, 2020). Dès lors, les traces de ces pratiques dans les paysages questionnent autant les processus d’abandon, de repérage, que l’évolution de leurs perceptions et des représentations associées, l’empreinte qu’ils laissent dans les espaces.

     Enfin, outre la venue au cimetière pour fleurir les tombes, le développement des cimetières paysagers fait émerger de nouvelles pratiques, telles que la visite touristique, quelques cimetières étant recommandés dans les guides touristiques, à l’image du Père Lachaise à Paris (MATHIS et PÉPY, 2017). Dans quelle mesure ces aménagements s’articulent-ils avec d’autres formes d’appréciation ou de pratiques du végétal ? La collecte d’échantillons à Ermenonville, sur la tombe de Jean-Jacques Rousseau (BENARRECH, PHILIPPE, 2020), dont les spécimens d’herbiers conservent le souvenir, invite à questionner plus largement les perceptions et les usages divers du végétal dans les cimetières, ainsi que la manière dont il modifie les significations et les imaginaires associés à certaines plantes.

     Les contributions de jeunes chercheurs et chercheuses, de chercheurs et chercheuses confirmés en histoire ou autre discipline de sciences sociales, ainsi que de conservateurs de cimetières sont les bienvenues.

Organisation et modalités de soumission :

     Le colloque aura lieu les 11 et 12 septembre 2025 à Avignon Université. La langue principale sera le français, mais le colloque est ouvert à des propositions dans d’autres langues (anglais, etc.), tant qu’une traduction en anglais ou en français est proposée sur le diaporama. Les propositions de communications, composées d’un titre, d’un résumé de 300 mots et d’une biobibliographie, sont attendues pour le 15 mars et à déposer sur la page suivante : https://pl-cim-myosotis.sciencesconf.org/. Elles seront évaluées par le comité scientifique, puis les réponses seront envoyées début mai. Les communications pourront faire l’objet d’une publication.

Comité scientifique : Bruno Bertherat (Avignon Université, CNE UMR 8562) ; Régis Bertrand (Université Aix-Marseille, TELEMMe UMR 7303) ; Anne Carol (Université Aix-Marseille, TELEMMe UMR 7303) ; Ana Duarte Rodrigues (Université de Lisbonne, CIUHCT) ; Charles-François Mathis (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, IHMC UMR 8066) ; Cristiana Oghina-Pavie (Université d’Angers, TEMOS UMR 9016) ; Emilie-Anne Pépy (Université Savoie Mont-Blanc, LLSETI EA 3706) ; Isabelle Renaudet (Université Aix-Marseille, TELEMMe UMR 7303).

Comité de pilotage : Bruno Bertherat (Avignon Université, CNE UMR 8562) ; Louise Couëffé (Avignon Université, CNE UMR 8562) ; Margot Garcin (Avignon Université, Aix-Marseille Université, TELEMMe UMR 7303) ; Cristiana Oghina-Pavie (Université d’Angers, TEMOS UMR 9016).

 

Bibliographie :

- ARIES Philippe, L'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.

- ARIES Philippe, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Paris, Seuil, 1975.

-AYLA de Roselyne, AYLARD Mathilde, Une histoire des fleurs, Paris, Perrin, 2001.

-BARIDON Michel, Les jardins paysagistes, jardiniers, poètes, Paris, Robert Laffont, 1998.

-BECKER Annette, TISON Stéphane, Un siècle de sites funéraires de la Grande guerre, Les passés dans le présent, Presses universitaires de Nanterre, 2018.

-BENARRECH Sarah, PHILIPPE Marc, « Femmes, cryptogamie et héritage rousseauiste au début du XIXe siècle » in Le Journal de botanique, n°113, 2024, p.16-32.

-BERTHERAT Bruno, « La tombe de Jeanne (1877- ). Histoire et archéologie » in Revue d’histoire du XIXe siècle, n°58, 2019, p.21-40.

-BERTHERAT Bruno (dir.), Les sources du funéraire à l’époque contemporaine, Avignon, éditions universitaires d’Avignon, 2015.

-BERTRAND Régis, CAROL Anne (dir.), Aux origines des cimetières contemporains. Les réformes funéraires de l’Europe occidentale, XVIIIe-XIXe siècle, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2016.

-BERTRAND Régis, Mort et mémoire. Provence, XVIIIe-XXe siècle, une approche d’historien, Marseille, la Thune, 2011.

-BERTRAND Régis, GROUD Guénola (dir.), Patrimoine funéraire français : cimetière et tombeaux, Paris, éditions du Patrimoine, 2016.

-BLAIS Hélène, L’Empire de la nature. Une histoire des jardins botaniques coloniaux (Fin XVIIIe siècle – années 1930), Paris, Champ Vallon, 2023.

-CABANEL Patrick, « Un patrimoine protestant méconnu : les cimetières familiaux » in Patrimoines du Sud, n°5, 2017. Revue électronique en ligne sur openédition [URL : https://journals.openedition.org/pds/2497].

-CHANSIGAUD Valérie, Une histoire des fleurs, Paris, Delachaux et Niestlé, 2014.

-CLAVANDIER Gaëlle et MICHAUD NÉRARD François (dir.), Les cimetières. Que vont-ils devenir ? À partir d’une enquête en Normandie, en France et ailleurs, Paris, Hermann, 2019.

-DREYFUS Jean-Marc et LYON-CAEN Judith (dir.), « Le cimetière juif dans la Shoah », Revue d’histoire de la Shoah, n° 215, 2022/1.  

-DUHAU Isabelle, GROUD Guénola(dir.), Cimetières et patrimoine funéraire. Étude, protection valorisation, Paris, Ministère de la Culture, direction générale des Patrimoines, 2020.

-DUARTE RODRIGUES Ana, “Greening the City of Lisbon during the French Influence of the Second half of the Nineteenth Century”, Garden History, vol. 45, n°2, 2017, p.224-250.

-DUCROS Odile, Les Perles et les fleurs dans l’art funéraire et l’art décoratif des XIXe et XXe siècles, Paris, Société des écrivains, 2009.

-ETLIN Richard A., « Père Lachaise and the Garden Cemetery, The journal of Garden History, 4 (3), 1984, p.211-222.

-FAUDOT Marc, Les cimetières : des lieux de vie et d'histoires inattendues, Paris, Armand Colin, 2024.

-GIESECKE Annette, MABBERLEY David (eds.), A cultural history of Plants in the Nineteenth Century, New York, Bloomsbury, 2023.

-GOODY Jack, La culture des fleurs, Paris, Seuil, 1994.

-LAQUEUR Thomas W., La travail des morts. Une histoire culturelle des dépouilles mortelles, Paris, Gallimard, 2018 (Princeton 2015).

-LEFAY Sophie, « La naissance de la sensibilité à l’environnement à travers l’art des jardins (1770-1810) », Le Temps des médias, n°25, 2015/2, p. 70-84.

-MATHIS Charles-François, PÉPY Émilie-Anne, La ville végétale : une histoire de la nature en milieu urbain (France, XVIIe-XXIe siècle), Ceyzérieu Champ Vallon,2017.

-PRÉVÔT Philippe, Histoire des jardins, Paris, Ulmer, 2016.

-TAÏBI Aude Nuscia, EL HANNANI Mustapha, « Le végétal dans l’espace public des villes coloniales de Marrakech, Alger, Antananarivo et Toliara. Enjeux socio-environnementaux d’un “patrimoine” vert dans un contexte urbain en mutation », in Africana studia, n°32, Le paysage colonial en Afrique, 2019, p.27-38.

-TARTAKOWSKI Danielle, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe-XXe, Paris, Aubier, 1999.

-TRIVISANI-MOREAU Isabelle, OGHINĂ-PAVIE Cristiana, NOÛS Camille, « De fougères en cimetière : Écriture et réécriture du végétal dans les récits de captivité de Pierre Gascar », L’esprit créateur, vol.60, n°4, 2020, p.81-93.

-URBAIN Didier, La société de conservation : étude sémiologique des cimetières d'occident, Paris, Payot, 1978.

-VOVELLE Michel, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle : les attitudes devant la mort d'après les clauses des testaments, Paris, Plon, 1973.

-VOVELLE Michel, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

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